Les figuiers de Barbarie de Caudarella, pionniers des forêts du sud

Nous voici près de Caltagirone, au cœur du massif Ibléen, sur la pointe la plus méridionale de la Sicile. Benvenuti à la ferme Caudarella.

 

Il y a douze ans, Michele Russo, alors trentenaire travaillant dans le cinéma, décide de quitter Rome pour retrouver sa terre d’origine. À Syracuse, il poursuit des études en agronomie et récupère les terrains de son grand-père qui avait abandonné la culture de la figue de Barbarie dans les années quatre vingt dix. Le domaine qu’il reprend s’appelle Caudarella et s’étend sur environ onze hectares comprenant un bout de plateau et le versant entier d’une colline. À son arrivée, Michele et sa compagne Vittoria Lo Dico découvrent « un désert parsemé de cactus ». Des terres arborant les plaies ouvertes et desséchées du labour excessif fourni, non sans effort, par son grand-père. Malgré ces cicatrices, les rangs de cactées géantes sont toujours là. Quinze ans après l’abandon de la culture, ces plantes vertes fluo, aux baies flashy et à a chaire épineuse, sont bel et bien vivantes.

 

Mico et Vittoria se retroussent les manches et donnent une nouvelle impulsion au projet Caudarella.

Le corps de la ferme et sa cour extérieure.
Une construction écologique en chaux, terre crue, bois et paille.

 « RALLENTARE » indique le panneau à l’entrée de la ferme. 

 

Devant la petite cabane en chaux couleur terracotta, une cour poussiéreuse recouverte de paille fait office de piazza. Tout le monde passe par là, chats, poules, canards, paons, woofers, copains, collègues, proches... Au-dessus de cet espace où règne un joyeux désordre, des bottes de pailles un peu partout, des hamacs, des tables de culture et des semis, un poste d’observation haut perché dont la structure sert à « se détendre en apesanteur ou à faire du Caudarella circus » comme le dit avec humour Michele. Avec la cuisine à deux pas, cet espace constitue « le corps » de la ferme. Un lieu de vie et de passage avec tout autour des champs à perte de vue.

 

Mico nous invite à le suivre pour une balade didactique.

 

Sur le pic de la colline, près du rucher, là où une vingtaine de familles d’abeilles ont élu domicile, nous observons une superbe plaine d’environ quatre hectares où se déploient plus d’un millier de figuiers de Barbarie. Sur le versant nord, en contrebas, une vallée bicolore aux tons jaune et vert.

Michele est intarissable sur les richesses de son domaine : « Caudarella s’arrête là où s’arrête le vert, le versant de la colline d’en face est celui de la propriété du voisin. De notre côté, nous avons planté une forêt fructifère avec pommiers, pêchers, amandiers, figuiers… Nous récoltons des fruits pour nous, nous transformons les surplus ou revendons sur le marché local. Chaque année nous découvrons de nouvelles espèces qui naissent spontanément, nous découvrons des hybrides, des plantes inattendues. Il y a quelques temps, du sumac a commencé à pousser ici et il y en a de plus en plus. Là, nous avons exploité un cratère naturel de pierres et créé un amphithéâtre d’aromatiques pérennes : romarin, thym, hélichryse, origan, calendula, lavande… On aime bien y étendre notre linge. Plus près de la cuisine, des spirales en pierre sèche abritent d’autres aromatiques, basilic, menthe, persil, coriandre, sauge, des petits fruits et légumes saisonniers ».


Une esthétique de l’abondance, anarchique comme la nature. C’est ce qui saute aux yeux quand on pose pied à la ferme Caudarella. « Ici il n’y a pas d’ordre, mais ça fonctionne » concède Michele. ça fonctionne et comment ! Au mois d’octobre dernier alors que le versant de la colline voisine souffrait de la pénurie de pluie qui frappait la région, le versant appartenant à Cauderella rayonnait lui d’un vert vivace.

 

En seulement douze ans, la culture principale et l’ensemble des terrains ont été régénérés et l’activité de la ferme est désormais viable.

Cette renaissance suscite l’intérêt des chercheurs du projet européen LIFE Desert Adapt. Ces scientifiques planchent sur des modèles agricoles capables de résister aux risques liés à la désertification et au réchauffement climatique.

Mais quel est le secret de cette renaissance des sols ? Et surtout, est-il possible de reproduire ce modèle ailleurs ?

 

À entendre Michele et Vittoria c’est possible, ces deux-là aiment les projets qui créent de l’espoir. Ils font d’ailleurs partie de plusieurs réseaux au sein desquels ils partagent, mutualisent et co-inventent des expériences. Leurs connaissances, ils les partagent au sein du consortium des Galline Felici, dont Mico est l’un des agriculteurs les plus jeunes et l’un des membres les plus actifs (notamment au sein de l’équipe Communication), mais pas seulement. Ils échangent aussi avec des organismes de recherche et de sauvegarde au niveau régional et européen tout en étant actifs au sein du réseau Permacultura Sicilia qui met Caudarella en contact avec les autres fermes de l’île.

Mico et Paulina en balade didactique


Les chercheurs de LIFE ont donné à Mico la certitude que la figue de Barbarie n’est rien moins qu’une plante pionnière, c’est-à-dire, une plante capable de fonder un écosystème.

Voilà le mystère dévoilé. Ces arbres spinescents, qui aiment les régions arides, sont en fait de très généreuses nourrices pour les autres plantes. Au niveau du sol, les conditions sont idéales pour la germination de graines que les oiseaux laissent tomber à leurs pieds ; avec leurs silhouettes bombées, leurs feuilles au ph juste parfait et un système racinaire très sobre, les figuiers de Barbarie protègent et fournissent aux petits végétaux tout ce dont ils ont besoin pour passer sereinement les premiers stades de croissance. Ce qu’il y a douze ans fut un désert, est aujourd’hui une forêt en devenir : pêchers, rosiers, chênes, lauriers, oliviers, lentisques, aubépines, asperges, amandiers et ronces s’intercalent résolument dans la culture principale… 
Le désherbage n’est pas nécessaire, un broyage inter-rangs créé des allées pour faciliter le passage, c’est tout.

 

Non, l’esthétique ne suit pas forcement la loi de l’ordre, mais c’est efficace. Les figues de Barbarie sont de véritables accélérateurs de reforestation. De « zone puit » [1], Caudarella a été reclassée en « zone source ». Sa biodiversité constitue un habitat comparable à une banque de graines autochtones à même de repeupler les territoires limitrophes. Une véritable source d’espoir.

Mico, lui, déborde de passion, d’énergie et de détermination pour son travail : « Les techniques de récolte et la scozzolatura [2] demandent de la force et une attention toute particulière, ce sont des opérations potentiellement très délicates. La maturation des fruits est subite et rarement prévisible, ce qui ne facilite pas sa commercialisation… Le consortium absorbe une bonne partie de notre production ; une partie est destinée à la transformation en confiture, jus ou bière. Malgré les difficultés et les efforts que cela demande, j’aime être sur le terrain. Aujourd’hui, je ne me vois pas ailleurs qu’ici ».

 

Le projet Caudarella est un work in progress. À long terme, Mico aimerait que son site rassemble une communauté rurale qui prendrait soin du lieu et valoriserait correctement toutes les ressources naturelles. L’autonomie énergétique est aussi un objectif futur. Pour l’instant, un biodigesteur transforme la matière organique en gaz pour la maison du couple et la cuisine de la ferme, tandis qu’un système d’irrigation collecte et dispense l’eau de pluie dans les champs de cactus en cas de besoin. Le solaire et l’éolien devraient être intégrés d’ici dix ans. Mais « les énergies renouvelables et le progrès technologique ne sont pas les seuls leviers possibles. La transition vers un modèle agricole durable passe forcément par un modèle économique circulaire » conclut Michele.

Mico (à droite) et ses collaborateurs, Concetto et Angelo
(à gauche), son voisin et ami d’enfance aujourd’hui employé à Caudarella                                                                                                                                                                                        
Paulina Filipiak


[1] Parcelles d’habitat où les ressources sont rares

[2] Une sorte de taille saisonnière qui consiste à enlever la 1ère pousse pendant l’été, pour qu’un fruit de meilleure qualité se développe, pour être cueilli à l’automne.